Rap français
Publié le
7 min
Focus sur une vague de nouveaux artistes qui défendent une trap brute et spontanée.
La trap et le rap français, c’est une longue histoire d’amour. De Booba et son classique "0.9" jusqu’aux perturbantes propositions de 13 Block en passant par l’incontournable Kaaris, nombreuses sont les sorties à avoir défendu ce sous-genre aux lourdes basses, aux hats cinglants et aux caisses claires caractéristiques. Des attributs rythmiques qui sont aujourd’hui devenus la norme: depuis la moitié des années 2010, les productions trap sont grandement majoritaires parmi les propositions du rap français. Et pourtant, depuis quelques années, la trap en France se fait timide. Parce que oui, la trap, ce n’est pas qu’une rythmique: c’est une culture à part entière, et plusieurs talents émergents de la scène francophone se sont bien décidés à la remettre au goût du jour. Alors, la Trap française fait-elle vraiment son retour?
Disparue, vraiment?
Avec son goût prononcé pour des sonorités bien particulières et longtemps bercé par les ténors du genre, un artiste a fait de cette musique le cœur de son identité depuis son explosion sur la scène francophone. Ce talent, ce n’est autre que Gapman, et sa musique, c’est une trap aussi fidèle à ses classiques que remise au goût du jour. Une proposition aussi singulière qu’appréciée, qui a tapé dans l’oeil d’un des plus gros média de cette industrie: pour leur freestyle annuel des #11àsuivre, Booska-P a invité le lillois à venir perforer La bise, un morceau exclusif dans lequel il déclare: «Ils ont dit que la trap était dans la poubelle, on vient casser les codes et les gens se réveillent». Bon. Cette phrase mérite une petite remise en contexte.
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Depuis la première moitié des années 2010, la trap s’est installée en France, comme le sous genre de rap le plus populaire de sa scène. Et comme bien souvent dans l’histoire du rap, l’influence vient de l’autre côté de l’atlantique, et plus particulièrement de la scène du sud des Etats-Unis. Portée par T.I, Young Jeezy, 2 Chainz, Gucci Mane et légèrement plus tard un certain Future, aujourd’hui considérés comme les ténors de genre musical, la trap est au début des années 2010 au top de sa forme chez nos confrères états-uniens, et fascine bon nombre des auditeurs et auditrices de la planète. Et parmi eux, certains sont des rappeurs, et ils évoluent dans une scène qui n’attend qu’une chose: un nouveau souffle.
Alors, comme pour balayer tout souvenir douloureux d’une crise du disque qui a mis en péril l’industrie musicale, et plus particulièrement l’industrie rap des années 2000, une déferlante va s’abattre entre 2012 et 2013 sur l’hexagone, et impose de nouveaux codes sur une scène en quête de renouveau. A mi-chemin entre le gangsta rap porté par les rappeurs de la côte ouest des Etats-Unis des années 90, de la bounce de la Nouvelle-Orléans, le crunk de Memphis et les basses de la scène éléctro d’Atlanta et Miami, la trap est par essence une musique hybride, née de la rencontre d’une multitude de sous-genres du rap et de la musique électronique. Et en France comme aux États-Unis, la trap connaît une explosion folle, grâce à des singles aussi marquants que témoins de leur époque.
Booba ft. Kaaris - Kalash:
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Avec l’explosion de la trap en France, de nombreux rappeurs s’engouffrent dans la brèche de ce phénomène musical pour proposer leur propre interprétation de la trap, qui devient très vite un courant roi du rap français de l’époque. A chaque proposition de Kaaris, Sofiane, Niro, Gradur, La Fouine, Seyfu, 13 Block, Lacrim et tant d’autres talents, la trap prend en France une forme plurielle, parfois plus crue, sombre et violente, parfois plus légère, plus stylisée mais tout aussi dynamitée. La suite, on la connaît: des relectures du genre proposées par Hamza, SCH et aussi PNL, la trap se mue très vite en un sous-genre de rap tentaculaire, ou les sonorités de chaque artiste résonnent de manière bien différentes, mais conservent souvent un même socle commun: celui d’influences américaines réinterprétée à la sauce francophone. Et c’est ce parfait équilibre qui va faire de la trap la révolution rap la plus importante de ces dix dernières années.
13 Block - Vide:
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Parce que oui: depuis la trap, aucun autre sous-genre a à ce point influencé la musique de la scène francophone. Depuis son arrivée, la trap s’est glissée partout, et ses attributs mélodieux et rythmiques aussi: on retrouve ses caisses claires les plus iconiques dans des morceaux de R’n’B, ses triolets de hats dans des morceaux pop, bref: la trap, en tant que style de composition, s’est depuis infiltrée partout. Mais depuis le début des années 2020, la trap, en tant que style de composition et sous-genre à part entière, semble se faire un peu plus discret.
Parfois quelque peu éclipsée par des vagues phénomènes comme la drill, la jersey ou encore la plugg, bon nombre d’autres sous-genre sont venus concurrencer la reine trap, sans réel succès: malgré un engouement viral autour de ces sous-genres, aucun n’a réussi à la détrôner, et à influencer la musique francophone comme elle l’a fait. Mais évidemment, force est de constater que son monopole est remis en cause: autrefois quasiment seule sur le terrain du rap en France, la trap se voit aujourd’hui fortement concurrencée par d’autres rythmiques, d’autres manières de poser, et évidemment, d’autres propositions portée par des artistes aux influences bien plus larges. Alors, la trap a-t-elle réellement connu un déclin ces dernières années en France?
Renouveler le genre
Entre la sortie de sa mixtape "Rescapé des Rues" jusqu’à morceau avec La Fève, RIP DOLPH issu de son projet"24", Zequin est certainement l’un des rookies qui a le plus piqué cette année la curiosité du public rap. Avec une proposition Trap fidèle à ses influences, situées quelque part entre Young Thug, Lil Wayne et les morceaux phares de Gucci Mane, Zequin s’est peu à peu construit comme l’un des talents les plus solides du sous-genre de l’année, et incarne, comme il le dit lui-même sur ses réseaux, l’espoir d’un renouveau. Parce que oui, la Trap a besoin d’une légère réactualisation: depuis le début des années 2020, si son hégémonie est toujours belle et bien prégnante dans les sorties du rap francophone, la trap reste quand même un genre moins mis en avant qu’au milieu des années 2010. Pour faire un gros résumé rapide et à la limite de la caricature: les têtes d’affiche se sont depuis diversifiées en proposant des sonorités plus estivales et chaleureuses à l’image d’un Ninho ou d’un Hamza, et les nouvelles générations se sont, quant à elle éloignées de la trap des années 2010 pour faire évoluer le genre dans des propositions hybrides, plus électroniques, avec des rythmiques parfois plus complexes.
Bref: au début des années 2020, rares sont les artistes de la scène rap francophone à encore se revendiquer entièrement Trap. Un ventre mou pour le genre, que plusieurs artistes ont décidé de combler depuis quelques mois avec leurs propositions hautement rafraîchissantes.
Zequin - Young Thug feat. Dafliky:
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Comme il le déclare lui-même dans son interview menée par Manon Chayah pour Pépite, l’objectif de Zequin est clair: il veut remettre au goût du jour la trap. Mais pas simplement en tant que genre musical ou rythmique: avec ses propositions fidèles à celles qui ont construit le genre aux États-Unis, Zequin se veut comme un défenseur «du message, de la mentalité trap».
Parce que oui, la trap, ce n’est pas qu’une rythmique, un son de caisse claire, une mélodie sombre ou une basse: c’est un imaginaire complet, une culture à part entière, régie par des codes et une mentalité bien précise.
Née des entrailles des quartiers les plus défavorisés des États-Unis, le genre s’est construit au fil des années dans un décor précaire, où les chances de trouver un emploi, de mener un train de vie confortable et finalement les chances de survies sont plus minces qu’ailleurs. Un manque qui pousse les artistes à raconter au travers de leur musique leur mentalité de conquérant, à mi-chemin entre la rue, le hustle et le rêve d’une ascension sociale par la musique. Un discours qui a trouvé, lors de son importation dans l’hexagone, un écho retentissant dans les banlieues parisiennes, marseillaises, lilloises et partout ailleurs, ou les conditions de vies, les difficultés et les désirs d’évasion sont malheureusem*nt similaires.
Alors, entre cette trap et son message, ses attributs musicaux et ses récits inspirés du quotidien d’un quartier français, Zequin veut construire une nouvelle trap basée sur cet équilibre bien précis: «J’ai toujours bien digéré les influences américaines que j’avais, mais par le fait que je sois aussi un rappeur issu des cités de France, ça fait que j’ai aussi les références d’ici. Dans ma musique je parle de ce qu’on vit dans les cités, avec une écriture très cainri. J’incarne cet équilibre entre les states et les cités de France»
Alors, aux côtés de Gapman, Dafliky, 2C et bon nombre d’autres trappeurs prêts à porter le renouveau de cette musique, Zequin s’est placé tout au long de l’année dernier comme l’un des architectes du renouveau de la trap, et porte dans sa musique une volonté solide: celle de défendre et de remettre, sur le devant de la scène, la trap en tant que musique, certes, mais aussi et surtout en tant que culture à part entière. Un objectif qui devra continuer à porter ses fruits tout au long de 2024, et qui répond alors à notre question de départ: oui, la trap est certainement au début de son renouveau sur la scène francophone.
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